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24 mai 2010 1 24 /05 /mai /2010 14:16

 

Déjà tous les amis les plus intimes de Périclès sont attablés pour commencer le banquet. Des esclaves servent du vin aux invités qui sont allongés sur des longs bancs. Dans le coin de la pièce, les serviteurs mélangent du vin miellé dans un magnifique cratère décoré par l'habile peintre Euphronios. Phidias discute avec Sophocle, tandis que Périclès les rejoint, suivi de l'élégante Aspasie. Les invités se lèvent pour le saluer. Le stratège a une démarche ferme et tranquille. La modestie dans son port, dans son geste et dans son habillement inspire le respect même à ses amis les plus proches. Périclès les invite à s'asseoir. Ils ont tous le regard fixé sur l'Acropole qui est visible à travers le portique sur lequel s'ouvre la pièce dans laquelle ils sont installés. De jeunes hétaïres sélectionnées par Aspasie déambulent autour des convives en jouant un petit air sur leur aulos pendant que les esclaves servent du bon vin aromatisé. La musique s'interrompt et Périclès prend en premier la parole, avec un ton de voix toujours égal :

- Je vous ai réunis pour que l'on parle de l'évolution de ma politique ces vingt dernières années. Athènes s'est couverte de monuments magnifiques. Contemplez l'Acropole, voyez comment Phidias a ébloui tout un peuple. Son incroyable génie a donné vie à la grandeur d'Athènes. Mon ami Anaxagore de Clazomènes nous invite à penser autrement, à trouver une réponse à chacune de nos questions par la force de sa seule réflexion. Sophocle a contribué à enrichir notre connaissance des grands sujets mythologiques dans ses tragédies, lors des Grandes Dionysies, mais il a accordé aux hommes une place importante dans ses sujets.

- Oui, lance Aspasie, mais selon le peuple les hommes prennent trop d'importance dans la tragédie et la piété populaire s'étonne que l'autorité des dieux soit parfois mise en cause. Oedipe dans la dernière pièce de Sophocle, Oedipe Roi, est un rebelle... un tyran !

- Ma chère Aspasie, dit Sophocle, ne faut-il pas introduire le peuple héroïque d'Athènes dans l'action mythologique ? Cette action mythologique s'interrompt pour laisser place à des discussions concernant l'homme et le vouloir de la communauté, elle exprime ses angoisses, ses difficultés et ses interrogations.

- Je n'en pense pas moins, répondit Anaxagore de Clazomènes. Dans la pièce d'un de tes concurrents, Euripide, Iphigénie dit :

« J'offre ma personne à la Grèce. Immolez-la ! Allez détruire Ilion. Voilà le monument qui perpétuera ma mémoire, voilà mes enfants, mon hymen et ma gloire. Aux barbares, il convient que les Grecs commandent et non, ma mère, les barbares aux Grecs ; ceux-là sont des esclaves, et nous des êtres libres. »

- Voilà un bon témoignage de la force qu'inspire notre régime au peuple mais il ne faudrait pas trop contredire nos dieux et nos légendes, dit Périclès. Même si le citoyen doit aussi trouver sa place dans la littérature ! Mais maintenant nous n'avons plus besoin d'un seul Homère pour nous glorifier : Hérodote et Thucydide ont inventé l'histoire !

- Il n'y a pas que dans la littérature que l'humaine condition a trouvé sa place. Les arts aussi se développent, lance Aspasie. Le Parthénon qui est le symbole de la puissance d'Athènes, de sa grandeur, est aussi le modèle de la beauté idéale, des proportions parfaites et de l'extême minutie.

- La minutie du travail des artisans d'Athènes, les lignes courbes, les effets d'optique, les représentations des visages idéalisés donnent à ce style harmonieux un sentiment d'excellence, répondit Sophocle.

- Reste donc modeste, Phidias, un peu de modération, veux-tu. Ne crois-tu pas d'ailleurs que dans toutes tes réalisations tu as commis une erreur, lance Anaxagore de Clazomènes : pourquoi as-tu représenté Périclès et Aspasie sur le socle de la statue chryséléphantine d'Athéna ? Cela est excessif !

Sentant que les esprits des convives s'échauffent, les esclaves font une nouvelle tournée de vin miellé et les jeunes hétaïres s'assoient près des invités.

Mais Périclès reprend la parole et pour défendre son ami il dit :

- Pour toutes ces magnifiques oeuvres, il doit être pardonné. Contemplez la frise des Panathénées, et vous comprendrez qu'il doit être remercié pour ses efforts par le peuple lui-même.

- Toutes ces métopes célèbrent la victoire d'Athènes sur les Perses, dit Sophocle, comment les Olympiens ont battu les géants, comment les Achéens ont battu les Troyens, le peuple des Lapithes a battu les Centaures et Thésée a battu les Amazones. Toutes ces guerres illustrent la victoire de notre démocratie sur la tyrannie, la victoire de l'ordre sur le désordre. Phidias n'a pas représenté que Périclès et Aspasie sur la magnifique frise des Panathénées, il a sculpté tout le peuple athénien libre et joyeux qui vient rendre hommage à la déesse : quatre cents personnes, hommes et femmes, de tout âge et de toute condition, sont représentés.

- Un souffle nouveau, une âme circule dans ces ouvrages qui ne saurait vieillir, répondit Phidias. La démocratie donne du pouvoir à l'homme, moi je lui donne la sereine grâce jusqu'alors réservée aux dieux.

- N'oublions pas aussi de parler de la démocratie, interrompit Périclès. Je suis fier de ce modèle politique et je suis sûr que les cultures à venir s'inspireront de ce genre de régime. L'ostracisme a souvent frappé des personnes qui ont fait briller Athènes : pensez à Thémistocle.

- Rassure-toi, Aspasie, dit Sophocle. Périclès peut impressionner les Athéniens jusqu'à la crainte, et inversement les rassurer et les remettre en confiance, il saura éviter l'ostracisme.

- Parlons plutôt de la philosophie ! lance Anaxagore de Clazomènes. Protagoras a dit ces magnifiques paroles : « L'homme est la mesure de toute chose. »

- Ce Protagoras conçoit le sujet humain comme la puissance éclairante, dit Périclès. L'homme n'est plus le jouet des dieux ou l'élément passif du pouvoir mystérieux de la nature.

- N'oubliez pas mon cher Socrate, lance Aspasie. A travers la maxime qu'il a empruntée au pronaos du temple d'Apollon à Delphes : « Connais-toi toi-même », il fait de la connaissance ou de l'observation de la nature, de ce que nous sommes, le moyen de nous rendre libres et capables de nous suffire à nous-mêmes.

- Les peuples suivants puiseront dans notre pensée, intervient Anaxagore de Clazomènes.

- Oui, dit Sophocle, même la vie quotidienne à Athènes sera une vivante leçon pour les hommes futurs.

- Voilà, dit Périclès, pourquoi Athènes est l'école de la Grèce et pourquoi elle va devenir l'école du monde.

- Cela, grâce à nos ancêtres, qui nous ont permis de vaincre la Perse et donc la barbarie, répond Sophocle.

- Mais la ville de la chouette ne pourrait sans doute pas rester l'Athènes d'aujourd'hui sans que d'autres cités, comme Sparte, ne s'opposent à sa richesse et à sa puissance, confie Périclès. Nous voilà donc de nouveau en guerre. Que les dieux nous viennent en aide ! Buvons, mes amis, et amusons-nous !

La conversation se termine sur ces propos et les hétaïres reprennent leur musique et dansent, et les esclaves se mettent à servir pour la énième fois du vin.


Paul L.D.

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