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23 juin 2009 2 23 /06 /juin /2009 08:09

Alors que l'Aurore aux doigts de rose se lève sur la vaste cité d'Athènes, une grande silhouette, sur l'Acropole, contemple la mer vineuse aux reflets pourpres. Deux hommes s'approchent alors, le plus petit s'adresse à la silhouette barbue :

"Eh bien, empereur Hadrien, lança-t-il joyeusement, je sais que tu es venu pour superviser les travaux de l'Olympeion, mais raconte-moi plutôt ton voyage."

Bientôt, d'autres hommes et quelques-uns de ses amis s'attroupent autour de lui pour rêver de son périple :

"Je souhaitais partir en privé d'Italie et en empruntant un navire marchand aussi, comme je savais qu'un Grec commerçant se trouvait à Caere, au nord de Rome, avant de reprendre la direction de sa patrie. Je décidai de m'y rendre accompagné d'Antinoüs.

Le marchand s'appelait Nauplios d'Argos et, moyennant quelques drachmes décorées d'une tortue, comme on en trouve à Egine, il accepta de m'embarquer avec Antinoüs, à condition que nous nous munissions d'une tente et de notre propre nourriture.

Nous partions le lendemain, alors que Neptune était calme et que Hélios brillait au zénith. Alors que nous traversions le détroit de Messine, j'eus une pensée pour Jason, revenant de Colchide avec la Toison d'Or, qui, avec ses compagnons, avait craint la fureur de Charybde et Scylla dans ce même détroit. Nous fûmes surpris par la tombée de la nuit ; juste avant celle-ci, nous distinguions encore le détroit entre la Sicile et l'Italie que nous avions traversé en début d'après-midi. Antinoüs m'aida à monter mon logis préféré : l'architecture de toile et de cordes. Artémis-Séléné montait dans le firmament étoilé et, alors qu'elle atteignait la Voie Lactée, le sommeil nous gagna.

- Artémis ? s'étonna un brave Athénien.

- Oui, en tant qu'empereur romain je me devrais de l'appeler Diane, mais aurais-tu oublié, Athénien, que je suis philhellène ?

Mais je reprends. Le lendemain, l'Aurore aux doigts de rose ne se montra pas, cachée par une brume matinale qui ne se leva que dans l'après-midi pour nous révéler la demeure du divin Ulysse, d'Ulysse aux mille ruses, l'île d'Ithaque. J'allai alors trouver Nauplios pour lui demander quelle serait notre prochaine escale. Je le trouvai à l'avant du navire devant un pithos rempli de blé, dominé par la Victoire ailée posée sur la proue. Il était en train de faire quelques exercices d'étirement et, remarquant ma surprise devant son corps musclé, me lança avec ironie :

"Mens sana in corpore sano !"

Il répondit ensuite à ma question en me disant que l'on chargerait le noir vaisseau sur le Diolkos. Je compris que l'on irait à Corinthe en passant par le golfe où les vents sont apaisés, contrairement aux eaux du sud du Péloponnèse.

Le soleil flambait maintenant comme au fort de l'été et, me retournant, je vis Antinoüs adossé au bastingage qui sommeillait la tête sur la poitrine, les cheveux frôlés par le vent, espèce d'Endymion du plein jour.

Nous passâmes une nuit agitée, sous la tente installée sur le pont, alors que la nef, bien que solidement ancrée, était ballottée par les vagues.

Le lendemain, après le lever de l'Aurore aux doigts de rose, le ciel violet zébré de nuages orangés, un des hommes du navire à la blanche voile lâcha une ancre de granite dans les flots de la mer vineuse, face au temple de Delphes, dédié à Phébus-Apollon, avec son nom inscrit afin d'être protégé par les dieux."

En même temps qu'il prononçait ces mots, il s'accroupit et, dans la poussière de l'Acropole, retranscrit  le nom du marin en alphabet grec : φιλεργος.

"Vers midi, la rapide nef mouilla dans le port de Lechaion. Nauplios, Antinoüs, quelques marins et moi-même descendîmes et l'on déchargea amphores de vin de Caere, pithoï remplis de blé ou de froment et caisses contenant vases de parfum et une vingtaine de poissons. Nauplios alla chez un ami, après avoir fait toutes ses affaires sur l'agora de Corinthe. Pour se faire reconnaître, il lui présenta une moitié de symbolon en terre cuite qui était cisaillé sur un côté ; l'ami ayant la seconde partie qui concordait, il l'invita à manger et à dormir avec ses amis. Antinoüs et moi revînmes dîner après être allés au temple d'Apollon.

Nous chargions les nouvelles marchandises que Nauplios avait troquées au marché de Corinthe la veille sur le port de Kenchreai. Le noir vaisseau de Nauplios avait parfaitement passé le Diolkos.

Nauplios allait ordonner de lever l'ancre lorsque cinq soldats chypriotes vinrent quémander le droit de monter sur la nef et d'être conduits en Crète, moyennant une soixantaine de drachmes corinthiennes chacun, décorées par Pégase, le cheval ailé. Ils passèrent donc devant nous, car je n'avais donné que dix drachmes pour Antinoüs et moi-même. Nous fîmes donc un détour par la Crète, où le prince athénien Thésée avait terrassé le Minotaure.

Le deuxième jour après notre départ de Corinthe, nous étions au large de la Crète, lorsqu'un marin à la vue perçante cria :

"Une voile noire ! Un navire pirate se dirige vers nous !"

Aussitôt, les cinq soldats chypriotes sortent leurs épées brillantes à la lueur du soleil. Je m'empare également de l'épée dans mon sac de voyage et les marins de bâtons, de gourdins ou de ce qui traîne à leur portée.

Bientôt, les pirates, une quinzaine, nous rattrapent et sautent sur notre pont. Je me souviens d'avoir tranché la gorge à deux pirates, que trois d'entre eux se sont alliés pour tuer deux Chypriotes, qu'ils furent ensuite assommés et jetés à la mer par une horde de marins déchaînés, que quatre de nos marins furent mortellement touchés. Antinoüs, lui, avait préféré se protéger derrière un pithos. La voile fut déchirée sur la longueur d'un bras mais l'on s'en est quand même sorti. Nauplios remboursa le voyage aux trois Chypriotes restants et les débarqua le lendemain de cet événement."

Hadrien marqua alors une pause avant de reprendre, d'un ton plus dégagé :

"Retournant alors vers Athènes, une tempête nous pousse vers le nord et nous dépassons Athènes. Cependant, hier, alors que le vent était retombé, nous arrivions, en voyant l'Eubée blonde qui précède l'Attique couleur de vin rose.

- En tant qu'empereur, pourquoi n'as-tu pas refusé le détour par la Crète ? demanda le même Athénien.

- Parce qu'il est intéressant, en tant que chef militaire, de se renseigner sur d'autres techniques de combat auprès d'autres armées, et qu'en tant qu'homme ayant soif de connaissance cela m'a permis de parcourir la terre.

- Mais, demanda un autre, pourquoi voyages-tu de cette manière ? Qu'est-ce que cela t'apporte ?

- Il est très enrichissant de voyager avec les marchands, ce sont sans doute les plus savants des hommes car "ils rencontrent diverses coutumes et voient divers pays", comme dirait Homère. Ce sont les plus débrouillards, ils savent garder leur sang-froid, les plus hardis, ils se défendent face aux pirates, mais aussi les plus poètes, ils savent se divertir pour échapper à la solitude des mers.

Lorsque vous êtes empereur et que vous devez partir quelque part, vous avez deux choix : préparer l'expédition pendant plusieurs jours, choisir vos vêtements, vos hommes, votre nourriture, ou bien prendre un navire inconnu, piloté par des étrangers ; vous allez apprendre alors à vous débrouiller seul avec ce que vous avez pour vous sortir de telle ou telle situation, improviser votre voyage, faire votre bonheur simplement, en dormant à la belle étoile, en sentant la terre nue sous votre corps ou bien vomir d'un gibier à demi-pourri, mais au moins vous aurez tenté l'expérience.

Et puis un voyage ce n'est pas seulement une suite de bien-être monotone, un voyage est une initiation dont on sort toujours grandi, il y a une multitude de dangers qui rendent ce voyage excitant et même, peut-être qu'au gré des vents, au hasard des tempêtes, on découvrira de longs paysages inconnus sous un ciel étoilé et dans un monde protégé par d'autres dieux..."

Kevin R.
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